C’est un peu comme « chercher de l’or », plaisante Jasmin*, qui tient à son anonymat. Pendant plusieurs semaines, en septembre 2018, ses yeux alertes ont balayé les hauts immeubles de canuts. Sur les hauteurs du quartier de la Croix-Rousse, qui dominent la ville de Lyon fendue par deux fleuves, Jasmin, « ouvreur », cherchait un squat possible.
Son regard s’est arrêté sur ce vaste complexe du 4e arrondissement, au cœur d’une longue rue silencieuse : quatre bâtiments tagués, cernés de grilles. Le collège vide, propriété de la Métropole de Lyon (qui a les compétences d’un département et d’une métropole), était dans l’attente d’un projet du groupe Vinci : une centaine de logements ainsi qu’un équipement socioculturel.
Le Lyonnais Jasmin ouvre « depuis 15 ans, dit-il, par goût de la liberté » mais aussi pour « rétablir un peu de justice : il y a des gens à la rue, des bâtiments vides qui ne servent à rien ». Il prospecte le jour et opère la nuit, souvent aidé d’autres ouvreurs de squats. Il risque jusqu’à 15 000 euros d’amende et un an de prison.
Cette fois, il a voulu organiser cette occupation pour quelque cinquante jeunes migrants d’Afrique de l’Ouest. Des hommes de moins de 30 ans, qui campaient alors dans un parc aux chemins serpentueux, en contrebas de la colline de la Croix-Rousse. Sous leurs tentes, ils espéraient qu’une place se libère dans le foyer pour jeunes migrants, de 25 lits, situé à proximité. La plupart, des « dublinés » (ayant leurs empreintes dans un autre pays de l’UE) sont venus d’Italie, craignant la politique du ministre de l’intérieur Salvini.
« Le bâtiment Maurice-Scève était parfait, totalement vide, résume Jasmin. Je ne squatte que les bâtiments publics. » Et puis c’est un « petit coup politique », sourit-il. David Kimelfeld, du parti LREM, est maire du 4e arrondissement et président de la Métropole. Il est doublement concerné.
« On trouve toujours une faille pour ouvrir », précise Jasmin. Ce coup-ci, c’est l’absence d’un gardien passant quotidiennement. Entre les murs vétustes, il n’y a ni meubles ni électricité. Seules les caméras fonctionnent. Qu’importe pour Jasmin. Pendant 48 heures, tous ont campé dans la cour, se sont envoyé des courriers. Puis Jasmin est devenu le « parrain » du squat, les migrants « les habitants ».
De 50 en 2018, ils sont passés à environ 300 en juillet 2019. Ces migrants bénéficient d’une aide d’une cinquantaine de « soutiens » des alentours de la Croix-Rousse. Dans une alliance improbable, des associations religieuses et des particuliers de gauche ont mis leurs divergences de côté pour faire vivre ce squat.
Il est désormais menacé d’expulsion. La Métropole a assigné les résidents en justice pour vider les lieux. Les organisateurs avaient rendez-vous le 24 juillet devant le tribunal d’instance de Lyon. La Métropole a réclamé l’évacuation immédiate du collège. Les avocats des migrants ont pour leur part demandé un délai de 18 mois. Le délibéré sera rendu le 24 septembre.
Ce squat n’est pas une alternative unique. À quelques kilomètres, dans la commune de Villeurbanne, se trouve l’Amphi Z, qui compte 200 habitants. D’autres squats d’urgence, palliant les carences de l’État, d’après les organisateurs, ont été érigés dans d’autres villes de France. L’enceinte du gymnase de Saint-Herblain, dans la périphérie de Nantes, abrite quelque 200 migrants. À Marseille, 200 exilés vivent dans un bâtiment désaffecté du diocèse de la ville.
Ils sont plusieurs à connaître des expulsions estivales. Le 4 juin, 200 migrants étaient évacués de locaux désaffectés appartenant à un bailleur social à Lille. Les 9 et 11 juillet, deux squats de migrants ont été vidés à Bordeaux et Saint-Médard-en-Jalles. Le même 11 juillet, des fouilles et des contrôles d’identité auprès d’une cinquantaine de migrants ont été effectués dans des locaux squattés à Limoges, opération préalable à une expulsion.
À chaque évacuation, les soutiens précisent qu’il y a rarement des solutions de relogement proposées.
Mohammed, Guinéen de 25 ans, a franchi la frontière italienne dans l’ombre en août 2018, pour finalement arriver dans la ville des Lumières. Le choix de Lyon est surtout géographique : « Je me suis fait virer du train par les contrôleurs et Lyon est l’une des grandes villes les plus proches de la frontière », dit cet étudiant au physique charpenté et à la voix calme. Comme beaucoup des 300 résidents, il n’a connu que l’errance en Europe.
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