Les cendres de Dadia : la renaissance de la forêt des Rhodopes
Restituer les blessures de la nature, documenter sa survie en peintures.
Candidature pour la bourse Paul Emile Victor
Projet : Je souhaite mener une exploration artistique pour documenter la renaissance de la forêt grecque de Dadia-Lefkimi-Souffli, un sanctuaire de biodiversité qui a brûlé en partie en 2023. Je réaliserai de grandes peintures à l’huile, un carnet de bord et des sons de cet écosystème sur trois saisons pour immerger les observateurs. L’humain s’interroge souvent sur la reconstruction des environnements humains et habitables, je souhaite aujourd’hui documenter la renaissance naturelle d’une biocénose et d’une flore, post-incendies.
Pourquoi la forêt de Dadia ?
À la fin de l’été 2023, deux incendies ont ravagé près de la moitié du parc naturel de Dadiá-Lefkími-Souflí et ses alentours, pendant 17 jours, le plus grand feu de l’UE, selon les termes de la Commission. Cet espace de 428 kilomètres carrés d’une valeur écologique exceptionnelle comprend deux zones de 72,9 km2 entourées par une aire d’adhésion de 355,1 km2 à la protection moindre. Les flammes, insatiables, ont avalé au total 93 500 hectares du secteur. Vingt personnes sont mortes.
La biocénose est affectée pour plusieurs années. Les animaux sauvages les plus petits ou les plus lents comme les tortues, sangliers, lapins… et des milliers de reptiles, rongeurs et insectes sont restés figés dans les flammes. Des milliers d’arbres, dont nombre de chênes et de pins, ont brûlé. Il s’agit d’une catastrophe pour ce sanctuaire de biodiversité du nord-est de la Grèce, à l’extrémité orientale du massif des Rhodopes. Cette forêt est en effet à la croisée des routes migratoires des oiseaux et abrite l’une des plus grandes concentrations de rapaces d’Europe, comme les vautours noirs, les vautours égyptiens, les vautours fauves, les aigles royal, etc. La biocénose et le biotope sont affectés, il leur faut revivre. L’accès à ce parc, en outre inscrit sur la liste des zones de protection spéciale (ZPS) pour les oiseaux et des zones spéciales de conservation (ZSC) des habitats naturels du réseau Natura 2000, est désormais restreint à certains endroits.
Lors d’un premier passage dans la région en janvier 2024 pour un article sur les incendies, je suis restée tétanisée face à cet immense paysage dévasté si silencieux, ces montagnes sombres, ces milliers d’arbres squelettiques calcinés assimilables à des silhouettes fantômes ou encore à la cendre qui a coloré les rivières des vallées. Ce paysage ténébreux a provoqué chez moi un sentiment de désespoir et m’a inspiré ce projet : suivre sa convalescence. Depuis, je souhaite plus que tout y retourner pour mener à bien une exploration artistique et scientifique sur sa renaissance et son devenir, qui devrait prendre plusieurs années. J’accorderai dans mes compositions une attention spéciale aux vautours, aux aigles, aux chevreuils et aux chênes historiques, très touchés par les flammes.
Le temps d’observation pour ce projet annuel se fera en trois étapes pour documenter la renaissance de cette nature fragile en peintures : à l’hiver, au printemps, à l’été. J’y réaliserai de grandes peintures à l’huile. Chacune de ces saisons baigne ce paysage dans une lumière et une atmosphère différentes. Étant très inspirée des œuvres de l’artiste français Théodore Rousseau et le Finlandais Akseli Gallen Kallela, qui ont travaillé au plus près de leur sujet, je m’installerai à l’orée de la forêt. Comme le disait Gallen-Kallela : « celui qui travaille longtemps, en plein air, dans la nature, finit par développer une relation personnalisée à son environnement… Il se surprendra peut-être à parler aux arbres de la forêt… ».
Je ferai donc une première escale en janvier. J’irai alors à la rencontre des biologistes, ornithologues et gardes forestiers qui suivent la renaissance de cette forêt et dont les récits et données me guideront dans le choix de mes compositions picturales.
Je retournerai ensuite au printemps, quelques jours à la mi-mars, dans cet espace pour assister au retour de plusieurs couples de vautours percnoptères, qui ont l’habitude de revenir en mars, en allant au cœur de la forêt, lieu très restreint, mais accessible avec un ornithologue. Enfin, le gros du projet de peinture sera réalisé en juillet et août 2025, lorsque la forêt aura repris ses couleurs et la faune sauvage sera plus visible.
Pour chaque œuvre, je ramasserai des échantillons de nature qui peuvent l’être sans abîmer le lieu : des cendres restantes, des écorces d’arbres calcinées tombées au sol, de la terre, des cailloux, des branches ou feuilles mortes, etc. Je les inclurai dans mes toiles, rappelant qu’elles ont été réalisées en connexion avec ce paysage. Parallèlement, j’enregistrerai les sons de la nature lorsqu’ils sont le plus impressionnant, à l’aube ou durant la nuit. Enfin, je tiendrai un journal de bord pédagogique sur mes découvertes artistiques et scientifiques, accompagnées de croquis. Le tout permettra une immersion plus intense pour les observateurs.
Pourquoi une exploration post-incendies ?
La forêt de Dadia est encore fragile. Le fait qu’elle soit désormais peu accessible et que l’humain doit laisser aujourd’hui « la nature faire son travail », selon l’expression consacrée, sans en exploiter économiquement la moindre parcelle, m’intéresse, tout comme le fait de restituer ses blessures actuelles. Les flammes ont détruit cette biocénose et cette flore, et il faudra du temps pour qu’elle se reconstruise mais sans intervention humaine, mais une observation à plusieurs reprises sur un an me paraît fascinante. Pour autant, les acteurs qui œuvrent autour de cette forêt aident comme ils peuvent à la préservation de ce territoire. J’aime aussi ce rapport au temps suspendu, que l’humain ne contrôle et ne possède plus dans cet espace au cœur de l’Europe. Ce rapport au temps long me parle en tant que peintre, il est propice à l’observation, au ressenti et c’est une denrée rare que cette bourse pourrait m’offrir.
Enfin, depuis des années, je souhaite documenter les incendies et leurs conséquences sur l’environnement. En effet, depuis plus d’une décennie, les feux ravageurs sont tristement devenus communs en Europe, presque attendus avec fatalisme chaque été. Ils sont de plus en plus incontrôlables et voraces, guidés par des vents violents en Grèce. Ils se reproduiront. Il me paraît d’utilité publique de répondre à la question : comment la biocénose et le biotope se remettent de tels phénomènes – et s’en remettent-elles ? Souvent, les médias évoquent la réadaptation de l’humain après ces drames, mais non des êtres vivants et de la flore. Je souhaite dans la mesure du possible que cette modeste documentation serve d’inspiration ou de base à des phénomènes tragiques futurs.
En quoi ce projet s’inscrit-il dans les valeurs et la philosophie de Paul-Émile Victor ?
L’approche de Paul-Emile Victor m’inspire car il a lui-même écrit et dessiné pour saisir son environnement. Insatiable, son exploration a sans cesse évolué vers des horizons différents, aux météos diverses, peuplées d’individus différents. Avec la même curiosité et modestie, il est parvenu à intégrer ses environnements sans les dénaturer. Je suis admirative de la capacité qu’il a eu à transmettre ces expériences uniques, à partager dans un but scientifique et pédagogique ces explorations, qui restent aujourd’hui dans l’histoire.
L’exploration d’un nouveau terrain incarne pour moi un art de l’observation, de l’isolement, de la patience. Pour la mener à bien, il faudra prendre du recul sur nos valeurs acquises jusqu’ici car explorer revient saisir pour le mieux l’environnement dominant comme un tout, saisir la fonction de chaque espèce, l’interaction qui les lie, la place de chaque élément. L’Homme doit ainsi nécessairement s’éloigner des critères individualistes enseignés dans nos sociétés, qui le mettent lui-même au centre. Nous ne sommes en effet plus le sujet, ni celui qui contrôle les événements, mais l’observateur et éventuellement, si nous faisons preuve de créativité nous pouvons devenir médiateur et transmettre ce que nous observons.
L’exploration peut éventuellement conférer chez nous un ressenti quasi-animiste, une connexion unique avec la nature qui a tendance à disparaître dans nos environnement d’évolution urbains actuels. Enfin, à l’heure où la rapidité dicte l’ère anthropocène, l’avantage d’une exploration est l’opportunité de la patience, le silence, la suspension de la notion du temps utilitaire.
L’évolution de la forêt de Dadia, terre brûlée dans une nouvelle phase de renaissance, nous est désormais inconnue. En cela, ce lieu est inexploré à mes yeux, inspirant, elle incite à être observée dans une démarche écologique, comme un lieu fragile, mais unique qui a beaucoup d’enseignements à nous apprendre.
Allier à la science a pour moi toujours été une ambition. A Dadia, tout est à reconstruire et l’évolution et la survie de ce poumon vert de la région est essentielle à l’environnement. La forêt se situe en plein cœur de l’Europe, mais elle reste méconnue et peu explorée et aujourd’hui, après ce drame, hors du temps. Je souhaite sensibiliser sur l’aspect fragile et précieux de ces endroits, en proposant à l’œil humain un regard différent et sensible sur les forêts du monde et les êtres vivants. Ce qu’est parvenu à faire Paul-Emile Victor lors de ces explorations.
Un projet à faible impact écologique
Je privilégierai le train pour mes déplacements en train jusqu’à Alexandroupoli. Je rejoindrai la forêt en bus.
Pour ce projet, je respecterai scrupuleusement les consignes de préservation de cet espace naturel, en m’y rendant dans les moments les plus propices, accompagnée de scientifiques lorsque cela sera nécessaire. Je resterai discrète lors de mes phases d’observation. Pour ma peinture, j’utiliserai des matériaux de confection le plus écologique possible (peintures à l’huile de l’Écolabel Européen ou labellisées NF Environnement, huiles ainsi que des solvants écologiques) .
Quelles seront les créations finales ?
*Une peinture à l’huile sur chassis entoilé d’une dimension de 146 × 89 (format marine)
*Trois peintures à l’huile sur chassis entoilés de taille, chacune représentant une saison 41 x 24 (format marine)
*Deux peintures à l’huile sur chassis entoilés de taille 81 × 54 (format marine)
(- Pour plus d’informations sur les tailles standards des formats, voir ce site)
*Une série de trois sons enregistrés dans la forêt
* Un carnet de bord, illustré au fusain et à l’acrylique, relatant cette expérience. Format A4 (numérisé) Rendu des oeuvres prévu pour novembre 2025
*Une conférence sur la place des femmes dans o’exploration
Pour plus d’informations sur mon travail :
Agence : Studio Hans Lucas
Twitter : @ElisaPerrigueur