Le 9 juillet, en quelques minutes, la place de la Constitution noire de monde devient blanche sous l’effet des lacrymogènes. Les gaz tirés par les forces de l’ordre postées devant le Parlement poussent la foule composée de quelque 12 000 manifestants à se disperser.
À l’intérieur du bâtiment, les députés débattent du projet de loi destiné à encadrer les manifestations. Il prévoit que chaque rassemblement devra être désormais déclaré et autorisé par les autorités. Un organisateur devra être nommé et portera la responsabilité pénale d’éventuels débordements. Le premier ministre conservateur Kyriakos Mitsotakis vise ainsi à réguler les rassemblements qui perturbent l’activité des commerces du centre-ville de la capitale grecque.
Dans l’hémicycle, l’opposition de gauche s’insurge et dénonce un texte qui rappelle la sombre époque de la « junte militaire » (1967-1974), lorsque les colonels avaient adopté un décret sur les rassemblements publics. Dehors, le cortège fustige aussi cette « attaque contre la liberté d’expression ». Pour les manifestants, le gouvernement, qui a « peur » de la colère sociale attendue à l’automne avec la crise économique, n’a comme solution que « toujours plus de répression ».
La fin précoce de leur manifestation ce 9 juillet leur donne raison. « Les tirs de lacrymogènes en réponse à quelques cocktails Molotov ont été intenses, il y a eu la volonté d’anéantir la contestation en moins de deux heures », déplore Antonios Draganigos, porte-parole du groupe extra-parlementaire anticapitaliste Antarsya. Témoin d’échauffourées entre policiers et manifestants, il s’alarme du « niveau de violence élevé de ce gouvernement ». En fin de journée, neuf participants ont été arrêtés pendant que la loi était adoptée.
Ce virage autoritaire a démarré bien avant la pandémie, mais il s’accentue. Arrivé au pouvoir il y a un an, le parti Nouvelle Démocratie – qui a surtout séduit les classes moyennes votant au centre ou pour la droite modérée ou nationaliste – mise désormais sur une politique du « tout sécuritaire ».
Son credo ? Remettre « de l’ordre » pour poursuivre sa politique économique libérale en rupture avec celle de ses prédécesseurs appartenant à la gauche Syriza. Avant la pandémie, à l’automne 2019, il a adopté un « grand projet de loi pour la croissance » qui a limité le droit de grève, supprimé les conventions collectives et facilité les privatisations. Cet hiver, le gouvernement a recruté 1 500 policiers. Les unités dites « Dias » ou « Drasi » à moto – équivalent des BRAV-M en France – patrouillent de jour comme de nuit à Athènes.
Les organisations de défense des droits humains mettent en garde contre les dérives. « Il existe un problème systémique de violences et d’impunité policières en Grèce. Les enquêtes de l’EDE [équivalent de l’IGPN – ndlr] ne sont pas lancées quand il le faudrait ou bien ne mènent nulle part », déclare Eirini Gaitanou, la porte-parole locale d’Amnesty International. La présence permanente des policiers dans le quartier athénien d’Exárcheia met ce foyer des anarchistes sous tension. Les opérations musclées des forces de l’ordre (voir les deux vidéos ci-dessous) se multiplient.
Le cas de Vassilis Maggos a également mis en lumière un autre épisode de brutalité policière à Volos (centre). Cet homme de 27 ans est mort chez lui le 13 juillet un mois après avoir été sévèrement battu par les forces de l’ordre lors d’une manifestation. Il avait alors été hospitalisé quatre jours pour sept côtes cassées, des lésions au foie et à la vésicule biliaire, rapportent les médias locaux.
Les autorités se sont empressées d’écarter tout lien entre son décès et l’intervention policière. D’après l’autopsie, un œdème pulmonaire a causé sa mort. Mais l’épisode a agité les réseaux sociaux, où les images de l’agression de Vassilis Maggos ont été largement diffusées par des internautes en colère.
Twitter ou Facebook, où fuitent ces vidéos de violences, souvent amateurs, deviennent des espaces d’expression fondamentaux pour les personnes critiques du pouvoir. Le 20 juillet, Michalis Chryssochoidis, le ministre de l’intérieur, a néanmoins publiquement stigmatisé ces images montrant des brutalités policières, les qualifiant d’« extraits abusifs » filmés par des individus cherchant eux-mêmes à semer le trouble.
Le gouvernement assume une ligne ferme, car il a les mains libres. Le premier ministre a gagné en popularité en raison du faible impact sanitaire du Covid-19. Il a été globalement salué pour avoir fermé l’économie tôt afin d’enrayer la diffusion du virus. Les grands médias, pour beaucoup aux mains d’oligarques proches de M. Mitsotakis, ont largement loué sa gestion de la pandémie. Parfois sans limites. En avril, un éditorialiste du site Liberal.gr comparait ainsi la position du premier ministre à celle de Moïse. Au sommet européen de juillet, Parapolitika.gr saluait le fait qu’il porte son masque de façon exemplaire.
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