Les bus bleus ont rompu le silence matinal du quartier athénien d’Exarcheia à l’aube du 26 août. Dans les habitacles derrière les vitres grillagées : des dizaines de policiers anti-émeute grecs et autres forces de l’ordre, selon les photos diffusées par une poignée d’internautes en alerte. Aux aurores, les fêtards et quelques âmes encore révolutionnaires, acteurs de la vie nocturne du bastion réputé anarchiste, ont déserté les rues.
Les uniformes verts aux casques blancs et boucliers Aztynomia – police en grec – s’alignent sans encombre devant les murs recouverts de graffitis anticapitalistes et anti-Airbnb de ce secteur qu’ils encerclent généralement sans y pénétrer.
Ils viennent fermer quatre squats, dont deux où résident des migrants, sur la vingtaine que compte le quartier où fleurissent les initiatives solidaires. Des bâtiments vides reconvertis après les arrivées massives d’exilés en 2015. Les quelque 130 migrants majoritairement d’Afghanistan et d’Irak seront conduits ce jour-là vers des camps officiels, des rangées de containers en périphérie.
Cette mission médiatisée a été suivie d’une opération de police quelques jours plus tard au K-Vox, centre associatif et QG du groupe anarchiste Rouvikonas – Rubicon en grec – au coin du square triangulaire d’Exarcheia. Son cofondateur accuse ce gouvernement de vouloir « anéantir toute résistance ». Quelques milliers d’anarchistes ont défilé le 31 août dans les artères du quartier. Le cortège s’est évanoui dans les lacrymogènes répondant aux cocktails Molotov.
Exarcheia « l’insoumise » est la première à avoir subi le sceau de « la loi et l’ordre », concepts chers à la Nouvelle Démocratie. Après quatre ans de règne de Syriza, qui avait promis un agenda de gauche radicale à son élection en 2015, le parti conservateur gouverne désormais avec une large majorité, après avoir récolté 39,8 % des voix aux législatives de juillet, et obtenu 158 sièges sur un total de 300 à la Vouli, le Parlement grec.
C’est le retour en force de celui qui a si a longtemps dominé la scène politique grecque, en alternance avec le Pasok (socialiste, rebaptisé Mouvement pour le changement), depuis la chute des colonels en 1974.
Éloigner les demandeurs d’asile – ils sont quelque 18 000 à Athènes – rappelle un procédé déjà vu. En 2012, l’ancien premier ministre conservateur Antonis Samaras lançait l’opération surnommée « Xenios Zeus » – du nom du roi des dieux antiques et protecteur des hôtes –, une chasse aux sans-papiers au cœur de l’été.
D’autres squats de migrants ont déjà été vidés ces derniers mois, sous l’impulsion de Syriza. « Ce qui change avec la droite, c’est la méthode, juge Seraphim Seferiades, professeur de sociologie politique à l’université Panteion, à Athènes. C’est moins discret, plus agressif. Ce gouvernement veut montrer qu’il a le contrôle. Tout cela n’est que spectacle pour marquer les mentalités. »
Héritier d’une dynastie politique grecque fortunée, diplômé d’Harvard et de Stanford, marié à la styliste Mareva Grabowski – dont le nom apparaissait dans le scandale d’évasion fiscale des Paradise papers – , le nouveau premier ministre Kyriakos Mitsotakis est l’incarnation de ce pouvoir qui « reprend le contrôle ». Le bastion rebelle au cœur d’Athènes, où le trafic de drogue a progressé, fut déjà sa cible durant la campagne électorale.
Il fallait selon lui « nettoyer » ce lieu « infesté de terroristes », accusait-il dès 2017, où circuleraient dans l’ombre des « armes lourdes », tant pour conserver une mainmise sur le quartier, d’après les observateurs, que pour favoriser l’essor d’un immobilier dont les prix au mètre carré ont dernièrement flambé.
Pour cela, le chef de l’exécutif a placé à la manœuvre Michalis Chrisochoidis, ex-socialiste récemment exclu du Pasok, devenu ministre de la protection des citoyens – l’équivalent de l’intérieur. Déjà détenteur de ce portefeuille à trois reprises par le passé (1999-2003, 2000-2010, 2009-2012), il avait participé en 2002 au démantèlement du groupe d’extrême gauche anarchiste « 17-Novembre », bien connu dans les artères d’Exarcheia.
Pour asseoir la « loi et l’ordre », l’exécutif pourra compter aussi sur le recrutement annoncé de 1 500 policiers, destinés majoritairement à devenir des Deltas, c’est-à-dire dédiés aux interventions d’urgence.