A Nantes, «il faut que Steve devienne un symbole»

Publié dans Mediapart
Après le repêchage du corps de Steve Maia Caniço et le rapport de l'IGPN dédouanant la charge policière du 22 juin, les proches du jeune homme et les passants solidaires sont sidérés. « Cette fois, les autorités ont transformé la colère en haine », dit un de ses amis.

Leur conversation rompt le silence sur le quai désert. « Cette fois, les autorités ont transformé la colère en haine », lâche Pierre. « C’est horrible, en fait, ils n’ont aucune prise de conscience », répond, atterré, Alexandre. Mercredi 31 juillet, ces deux amis de Steve Maia Caniço se sont une nouvelle fois rejoints près du petit hangar quai Wilson sur l’île de Nantes, éprouvés. La veille, la tristesse de ces jeunes adultes s’est doublée de sidération.

Le corps de Steve, 24 ans, disparu depuis le 22 juin, a été identifié après avoir été retrouvé dans la Loire, près de là, derrière les hangars vieillots et les rangées de bars cosy fréquentés. « Si près d’ici ! Que faisaient les plongeurs pendant un mois ? », s’indigne Pierre. Dans la foulée, ces jeunes Nantais ont pu entendre les mots « ravageurs », disent-ils, du premier ministre qui s’est publiquement exprimé.

Selon les conclusions du rapport de l’enquête administrative de l’IGPN, « il ne peut être établi de lien », a précisé Édouard Philippe, entre la violente charge policière du 22 juin qui avait mis fin à la fête de la musique quai Wilson, et la chute de Steve dans le fleuve tumultueux.

Le fort ressentiment envers les policiers qui avaient mené la dangereuse intervention sur le quai où s’élevaient une douzaine de sound systems, qui a précédé le décès de leur ami, s’étend désormais aux gouvernants accusés de les couvrir. « Déjà, quand on s’intéresse à un sujet, on n’écorche pas le nom de la personne comme l’a fait le premier ministre devant les caméras », enrage Pierre. « Ces conclusions [du rapport IGPN], c’est du foutage de gueule. »

Alexandre approuve : « Ces politiques sont irresponsables, ce sujet ne les atteint absolument pas. Ils essaient de se dédouaner, faire traîner et oublier les choses avec de nouvelles enquêtes. On voit bien qu’au fond, ce qui compte plus que tout pour eux c’est leur image qu’ils ne veulent pas salir. »

D’autres proches, mobilisés depuis un mois pour Steve, n’ont pas eu « la force de venir » au hangar, quartier général devenu lieu de recueillement. Ils fuient les caméras. « Trop de médias sont venus, certains nous ont sauté dessus », déplore Pierre, enfoncé dans un canapé usé installé sur le quai en friche depuis des semaines. Près de lui, des fleurs qui s’abîment sous la chaleur, déposées en hommage au jeune animateur périscolaire habitué des free parties. Et des inscriptions sont apparues sur la façade du hangar telles que « On se connaîtra dans un monde libre ».

À quelques kilomètres du quai inhabité, une eau couleur rouge sang qui coule dans la fontaine de la place Royale interpelle les touristes. À l’annonce du décès officiel du jeune animateur périscolaire, mardi, la banderole blanche estampillée au centre de la question lancinante « où est Steve » a également été colorée de noir ne laissant plus apparaître que le prénom « Steve ».

Elle cache une statue de bronze représentant une femme assise : l’allégorie de la Loire. Tout un symbole pour le collectif à l’origine de cette initiative, pensée le matin même. « Nous voulions marquer les esprits sans blesser, c’est un équilibre difficile auquel nous avons beaucoup réfléchi mais il fallait faire quelque chose », assure Quentin, dessinateur discret, voix calme. « Avec ce noir nous marquons le deuil. Maintenant il y a homicide, il y a des responsables. »

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