L’aube se levait sous zéro degré, l’air glacial brûlait les doigts ce 9 janvier 2018. Biniam L. était seul le long du bitume lisse de l’A16, des arbres morts pour compagnons. Selon les rares témoignages de ses proches interrogés par la police, le jeune migrant avait probablement « essayé » toute la nuit. « To try, essayer » : c’est-à-dire monter dans les camions qui filent vers l’Angleterre.
« We try, we try every day and night », « nous essayons jour et nuit », répètent-ils lorsqu’ils décrivent leur quête obstinée. Biniam avait fini par se glisser dans l’un de ces poids lourds sans être repéré. Pour cet Érythréen de 22 ans, c’était probablement un premier soulagement.
Le camion devait ensuite rejoindre le port de Calais. Biniam aurait alors retenu sa respiration, immobile, planqué au fond de la cargaison lorsque le poids lourd a pénétré cette forteresse entourée de 39 kilomètres de grillage. Il aurait croisé les doigts pour que le camion soit l’un de ceux épargnés par les contrôles douaniers français puis anglais, les chiens renifleurs ou le scanner qui détecte la présence humaine… Le jeune voyageant sans papiers, sans bagage, juste des couches de vêtements pour tenir contre le froid, aurait enfin atteint l’Angleterre qu’il désirait tant.
Mais ce 9 janvier, le camion de Biniam n’a finalement pas emprunté la direction de son eldorado. À un embranchement de l’A16, il a roulé à l’opposé vers Dunkerque. Dans la panique, Biniam a voulu descendre sur cette autoroute où les voitures foncent à 130 km/h. Sa tête a heurté le sol, un autre poids lourd est arrivé, d’après l’association Auberge des migrants qui a rencontré la police après les faits. Les camions sont partis et beaucoup de zones d’ombre planent toujours autour des dernières minutes de sa vie.
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