Au port de Calais, inquiétudes autour d’un «Brexit dur»

Publié dans Mediapart
Le flou de l’accord autour du Brexit nourrit les inquiétudes au port de Calais, point de passage très fréquenté. On craint ici une paralysie de l’infrastructure avec l’intensification des contrôles douaniers.

Il fait encore nuit, la brume lui glace les mains. Traits tirés, Sylvain D., 54 ans, saisit le volant de son camion et s’engage sur « l’autoroute des Anglais ». L’A26 fend les Hauts-de-France, ses plaines d’éoliennes, ses champs de betteraves humides. Le routier file vers la côte du détroit du Pas-de-Calais, rejoint sur le bitume par des poids lourds polonais, turcs, hongrois, etc. Ils convergent tous vers cette forteresse, près des immeubles du front de mer. Elle recrache la fumée noire des ferrys, cernée de ses clôtures de barbelés controversées, érigées par Londres pour empêcher les migrants de s’y introduire. « Dans les années 1990, on regardait la Manche. Maintenant on voit les CRS quand on attend pour passer aux contrôles », ironise Sylvain d’une voix forte.

Le port de Calais, propriété de la Région, est le premier en France pour le trafic transmanche, l’une des principales entrées de l’île de Grande-Bretagne. Quelque 7 000 camions y transitent quotidiennement. Deux millions par an. On ne pénètre pas facilement derrière ces grilles. Aux uniformes qui veillent s’ajoutent les vérifications obligatoires avant l’embarquement : un scanner qui détecte toute présence humaine, le contrôle des tickets de traversée et des papiers d’identité côté français et anglais… Quelques chiens reniflent les cargaisons qui s’engouffrent dans le bateau. Les inspections demandent au total trente minutes. Sylvain prend le large pour les falaises de Douvres, à 38 kilomètres. C’est le chemin le plus court entre la France et l’Angleterre.

Le camionneur parcourt ce même itinéraire depuis 28 ans dans sa cabine ornée d’un drapeau représentant un husky entouré d’étoiles. Au sein de son entreprise française de transport, ils sont une vingtaine comme lui à livrer quotidiennement de la marchandise en Grande-Bretagne. Ils sont surnommés les « Anglais », paradoxe car l’homme originaire du Nord parle peu la langue. « La base pour un chauffeur routier : “turn right, turn left”, “custom” » (douanes), avoue Sylvain. Cela fait longtemps qu’il n’a pas prononcé ce dernier mot. Les barrières administratives et non tarifaires ont disparu en 1992 entre la France et le Royaume-Uni. Seuls quelques contrôles douaniers aléatoires ont encore lieu sur le port, le pays ne faisant pas partie de l’espace Schengen.

Le 25 novembre, le Royaume-Uni et les Etats membres de l’UE se sont entendus sur un accord de divorce. Ce dernier instaure une période de transition durant laquelle Londres, qui ne sera plus membre de l’UE à partir de mars, continuera d’appliquer les décisions européennes et restera au sein de l’union douanière. Une phase qui court jusqu’à 2020, le temps que les deux parties trouvent un accord de libre-échange jugé satisfaisant. Le texte doit encore être soumis au vote du Parlement britannique, le 11 décembre. En cas de refus, un « Brexit dur » se profile pour mars 2019.

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