En cette fin novembre, la lune éclaire la mer froide, le long du littoral qui s’étire entre Boulogne-sur-Mer et Dunkerque. De petits groupes de cinq à dix hommes, accompagnés de femmes et parfois d’enfants, se faufilent vers ces plages désertes, les criques isolées au pied des falaises vertigineuses battues par les vagues à marée haute.
Ce sont des migrants, des Iraniens. Transis, ils embarquent sur de frêles esquifs, des bateaux de pêche ou semi-rigides, et voguent vers le large, sur les courants du détroit du Pas-de-Calais qui sépare la mer du Nord de la Manche. Ils naviguent à l’aveugle dans ce dangereux chenal, le plus fréquenté du monde, où croisent chaque jour près de 400 navires marchands. Cap sur un avenir meilleur, cap sur le sud-est de l’Angleterre, dont on aperçoit par beau temps la côte aux roches couleur craie, à 40 kilomètres.
Pour beaucoup, la traversée s’arrête au bout de quelques kilomètres. Ils se signalent eux-mêmes en détresse, en contactant les numéros d’urgence, ou bien sont repérés par des navires témoins, avant d’être ramenés à terre. Mardi 27 novembre au petit matin, neuf migrants étaient ainsi aperçus par un ferry à quatre milles marins de Dunkerque et reconduits sur le rivage français. Neuf autres avaient réussi à fendre les flots jusqu’au comté de Kent. Ils ont été vus à la dérive par un navire britannique non loin de Douvres.
Les tentatives s’enchaînent à un rythme inédit sur la côte d’Opale. Entre octobre et novembre, 28 passages illégaux en mer vers l’Angleterre, avortés ou réussis, ont été constatés par la préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord, généralement dans l’obscurité. La nuit la plus alarmante fut celle du mercredi 21 au jeudi 22 novembre. Sous la pleine lune, 36 migrants ont été interceptés ou sauvés au cours de quatre opérations de la préfecture maritime et de la police aux frontières. Certains s’apprêtaient à embarquer dans le froid agressif, d’autres manœuvraient déjà dans les eaux à 12 degrés. Sept personnes ont été conduites en Grande-Bretagne. Les autres, revenues en France, ont été auditionnées par la police. Plusieurs ont été transportées à l’hôpital, en état d’hypothermie.
Au total, 40 embarcations se sont risquées à ce périple clandestin cette année. Soit 268 personnes. « Une explosion », s’inquiète la préfecture maritime, qui n’avait repéré que treize bateaux de migrants en 2017.
Photo/ Evelina Llewellyn