En cette mi-juin, les ruelles de Santorin traditionnellement bondées présentent un visage inhabituel. Elles sont vidées de leurs flots de visiteurs et on peut désormais apprécier leur blancheur légendaire. La crise du Covid-19 a transformé une île, en proie jusque-là au tourisme de masse.
C’est ici que, le 13 juin, le premier ministre grec Kyriákos Mitsotákis a choisi de s’exprimer en anglais, face à une cinquantaine de journalistes soigneusement sélectionnés et de professionnels du tourisme. Et pas n’importe où : derrière lui, le paysage maritime est à couper le souffle. Et pas n’importe quand : en plein coucher de soleil. Des caméras transmettent la scène en direct.
Le virus « n’a pas altéré la beauté stupéfiante », lance Kyriákos Mitsotákis depuis un pupitre sur lequel est inscrit « Greek Summer 2020 » (« Été grec 2020 »). « Je ne veux pas que la Grèce devienne la destination numéro un en Europe, je veux qu’elle devienne la plus sûre. » Certains des reporters choisis pour ce voyage de presse – contactées, les autorités ont refusé de donner les détails de cette sélection – tweetent le message du premier ministre à l’attention des touristes : « Revenez en Grèce, le pays est sûr. »
Cette opération faste de communication à Santorin a constitué l’apogée de la campagne pro-tourisme du gouvernement conservateur de la Nouvelle Démocratie (ND), qui veut relancer une saison, dont le démarrage en avril avait été perturbé par le Covid-19. Depuis le déconfinement progressif du pays, le 4 mai, attirer les visiteurs étrangers est une priorité.
Renforcées après une crise sanitaire qu’elles ont contenue – le virus a fait jusqu’ici près de 200 morts –, les autorités vantent plus que jamais sur les réseaux sociaux ou dans les médias l’image d’une Grèce sécurisante. « Ce n’est pas un hasard si nous vivons dans le meilleur pays du monde, tweetait le ministre du tourisme Harry Theoharis le 14 juin. Ce n’est pas non plus un hasard si les Grecs ont réussi à faire mieux avec la pandémie que la plupart des pays d’Europe et du monde entier. »
Bref, l’été en Grèce serait « un état d’esprit » assure le nouveau spot publicitaire du ministère du tourisme sur fond de plages bleu azur. C’est surtout une nécessité. Pour l’économie fragilisée par dix ans d’austérité, l’effondrement du secteur, qui représente 25 % du PIB, serait en effet une catastrophe.
C’est aussi un risque, car sauver la saison signifie accepter d’importer éventuellement le virus dans un pays au système de santé fragile. Depuis le 1er juillet, date de la reprise de nombreux vols en provenance de l’espace européen, des dizaines de cas de Covid sont détectés quotidiennement, dont une grande partie sur des voyageurs de l’étranger.
Or la rigueur a fortement affaibli le secteur de la santé. « Il y a aujourd’hui dans le pays 45 groupes hospitaliers [certains étant des fusions de plusieurs établissements de tailles variables dans un même secteur – ndlr] contre environ 60 il y a dix ans, avant la crise économique », explique Panagiotis Papanikolaou, neurochirurgien à l’hôpital du Pirée. Au sortir du confinement, l’hôpital public dispose, selon les médias, de quelque 1 000 lits en soins intensifs, pour 11 millions d’habitants, dont « 352 dédiés au Covid-19 », déclarait le ministre de la santé début mai dans le journal de centre-droit Kathimeriní.
Mais le premier ministre se veut rassurant : « La Grèce est prête. » Quelque 700 médecins, infirmiers et autres effectifs seront présents sur les îles, ont précisé les autorités sanitaires à l’agence de presse grecque Ana-Mpa.
Cette communication intense du gouvernement ne convainc pas tout le monde. Les professionnels du tourisme ont conscience que le marché est totalement dépendant des vols internationaux, pour l’heure encore restreints ou aux tarifs excessifs.
De plus, une partie des hôtels du pays n’ont pas ouvert leurs portes début juillet. Comme l’Acropolis Hill, au pied de l’acropole d’Athènes. « Ça ne vaut pas la peine, nous avons 20 réservations ici pour tout juillet », soupire la gérante Sofia Kalfopoulou, dans le hall vide de l’établissement de 37 chambres, même si elle comprend « le moral en berne et la peur de voyager en avion » qui freinent les touristes.
À la tête d’une entreprise familiale, elle dirige trois autres hôtels dans la capitale grecque et à Corinthe. Seul le dernier établissement a ouvert pour une clientèle nationale avec des protocoles sanitaires stricts sur le papier : la direction doit nommer un coordinateur de santé et disposer d’un médecin de garde. « Un voyageur pourrait être atteint du Covid, mais c’est un risque à prendre puisque nous ne pouvons pas nous passer d’eux », commente Sofia Kalfopoulou.
Pour l’heure, seulement 25 de ses 80 salariés ont repris le travail. Les autres touchent 800 euros alloués par l’État pour 45 jours jusqu’à la fin de l’été. Toute une économie périphérique s’effondre déjà : tour-opérateurs qui ferment, guides qui se reconvertissent comme livreurs.
Sofia Kalfopoulou a en mémoire le précédent de la crise de la dette. Entre 2009 et 2012, ses hôtels étaient à moitié vides. « La médiatisation des manifestations contre l’austérité avait donné une mauvaise image du pays », se souvient-elle.
La pandémie qui a cloué au sol les avions et placé en confinement les touristes potentiels a révélé la dépendance du pays aux revenus du tourisme, un secteur « très sensible aux crises économiques, politiques ou sanitaires », souligne Nicholas Theocharakis, professeur d’économie politique à l’université d’Athènes.
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