Moldavie : des générations d’enfants grandissent loin de leurs parents qui travaillent en Europe

Publié dans Mediapart
Mediapart - Le pays, candidat à l’UE, se vide de ses habitants, dont beaucoup vont en Europe pour travailler et combler le manque de main-d’œuvre dans la santé, la construction, le tourisme, en Italie, en Allemagne, en Espagne ou en France… Laissant leur progéniture à la famille ou aux amis.

 Elle ne sait pas si le plus difficile a été son départ ou son retour. De 2010 à 2020, Anna Chiper a quitté Gura Bîcului, son village perdu dans les Tchernoziom, nom des terres noires fertiles dans l’est de la Moldavie. « Je suis diplômée d’informatique mais il n’y a pas de travail ici, ou des petits boulots mal payés », explique cette ressortissante d’un petit pays enclavé entre la Roumanie et l’Ukraine. Le salaire minimum mensuel est de 225 euros. À contrecœur, Anna Chiper est donc partie travailler comme serveuse et femme de ménage d’abord en Russie, puis en France, en Belgique et aux Pays-Bas.

Un exil de dix ans sans vie sociale, loin de son fils. « J’ai dû le laisser à ma mère. Je ne pouvais pas l’emmener dans ce contexte instable. Il avait huit mois. » Anna Chiper l’a vu grandir sur écran, via les appels sur l’application Skype et l’a serré dans ses bras lors de ses escales furtives en Moldavie, tous les trois mois. À son retour, en 2020, le garçon fait « des crises de colère, la rejette, menace de se suicider ou de partir », s’attriste-t-elle. « Je regrette de l’avoir laissé. »

La voix de Veronica Osipova, sa voisine de 50 ans, tremble lorsqu’elle évoque son exil économique similaire de six ans à Moscou, loin de ses deux filles. « Je voulais pouvoir leur construire un avenir. Là-bas, je gardais des enfants de leur âge pour quelque 1 000 euros. Je pleurais tout le temps mais je n’avais pas le choix et elles étaient mieux ici, scolarisées… » Veronica Osipova est revenue à Gura Bîcului en 2015. « Je me sentais comme une étrangère, mes proches me faisaient la morale sur l’éducation. Je me sentais isolée mais je n’attendais rien de personne. C’était ma décision de partir. »

Elle l’assume : ses filles ont pu faire des études supérieures. Devenue grand-mère, elle a, à son tour, gardé son petit-fils pendant trois ans, avant qu’il rejoigne sa fille aînée désormais établie à Londres. Veronica Osipova est maintenant seule. « Mon mari est reparti travailler pour Amazon en Allemagne. Je compte les minutes jusqu’à ce que ma famille revienne. C’est difficile mais ce sont nos vies. »

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