C’est une liberté « très conditionnelle », lâche Luke S. « C’est absurde : en théorie, je suis libre de circuler, mais en réalité, je sais que si je reviens en France, je me ferais probablement interpeller sous le coup d’un nouvel arrêté », s’exclame le ressortissant allemand de 38 ans, joint par téléphone, à Fribourg-en-Brisgau, dans la Forêt-Noire. Son cas révèle la « paranoïa des autorités françaises », s’insurge son avocate, Me Muriel Ruef, qui estime qu’on « se sert de lois antiterroristes pour éloigner une personne ne constituant pas une réelle menace ».
Ce vendredi 16 août, le sort de cet Allemand qui travaillait et résidait partiellement en France s’est joué sans lui au tribunal administratif, au cœur des rues désertes du IVe arrondissement de Paris. Journaliste pigiste pour la radio libre fribourgeoise Radio Dreyeckland, RDL, classée à gauche, et travailleur saisonnier à Dijon depuis début juillet, il avait été arrêté le 8 août et expulsé en moins de vingt-quatre heures, sous le coup d’une interdiction administrative du territoire français (IAT) émanant du ministère de l’intérieur en prévision du G7.
En cause : « Son activisme au sein de l’ultra-gauche allemande », selon Beauvau. On reprochait notamment à Luke S. « d’être soupçonné d’exactions à l’occasion du G20 à Hambourg (en 2017) notamment des agressions sur les forces de l’ordre », « d’avoir été contrôlé dans le bois Lejuc à Mandres-en-Barrois en compagnie de quinze militants opposés au projet d’enfouissement des déchets nucléaires [Bure – ndlr] ».
Des motifs suffisants pour ordonner un « éloignement immédiat du territoire » jusqu’au 29 août, notamment pendant la durée du G7, du 24 au 26 août, à Biarritz où Luke S. comptait se rendre « dès le 15 août, pour faire [s]on travail de journaliste », précise-t-il.
Les accusations du ministère sont vivement contestées par son avocate : « Les soupçons avancés ne constituent pas une menace réelle, Luke S. n’a par ailleurs jamais été condamné pour des actes de violence. Il a juste écopé d’une amende en Allemagne après le G20 pour délit de presse, en ayant eu des propos sur une radio. »
L’arrêté le concernant a toutefois été abrogé à l’aube, a-t-il été annoncé, vendredi, à quelques minutes de l’audience devant le juge des référés, saisi par Me Ruef. C’est qu’entre-temps, celle-ci a largement dénoncé « l’atteinte grave et manifestement illégale portée à la liberté » de son client.
Retour au 8 août. Luke S., qui travaille à Dijon, est au volant de sa voiture en fin d’après-midi. « J’étais dans le sud de Dijon et trois policiers de la BAC m’ont arrêté. C’était très spectaculaire, à la méthode de shérifs, ils ont mis les gyrophares, alors que je n’avais fait aucun excès », s’étonne encore l’intéressé. Un « simple contrôle de routine », lui signifie-t-on au départ. Puis finalement, Luke S. est conduit au commissariat. « Ils m’ont vaguement expliqué que c’était pour une question de droit de séjour. » Luke S. n’a ni carte d’identité ni téléphone, juste une carte grise.
Au terme de vingt-deux heures de garde à vue « totalement arbitraire », souligne son avocate, Luke est informé qu’il doit quitter immédiatement le territoire. « On me dit que c’est en raison du G7 », précise-t-il. Sirènes en vue, le véhicule de police file à 165 km/h vers la frontière allemande. Dans l’habitacle, Luke S., les pieds et les mains menottés, est débarqué 300 kilomètres plus loin, à Kehl, « sans papiers, sans pouvoir prévenir [s]on employeur ». Il signale : « Les policiers français n’étaient visiblement pas coordonnés avec les Allemands. À l’arrivée, eux m’ont laissé partir tout de suite… »
Il apprend alors qu’une ordonnance le concernant a été diffusée le 18 juillet. « Mais je travaillais légalement en France dans le maraîchage depuis début juillet. J’ai un contrat de travail, je ne me suis jamais caché », plaide-t-il. Il comprend aussi que cet arrêté du 9 août se base sur l’article L 214-1, texte renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, adopté en 2014. Cet article précise que tout ressortissant de l’UE « peut, dès lors qu’il ne réside pas habituellement en France et ne se trouve pas sur le territoire national, faire l’objet d’une interdiction administrative du territoire lorsque sa présence en France constituerait, en raison de son comportement personnel, du point de vue de l’ordre ou de la sécurité publics, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société ».
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