Une journée à Calais, entre tensions, rumeurs et ratonnades

Publié dans Slate
Des milliers de personnes, fuyant des guerres ou la misère et espérant traverser la Manche, se retrouvent bloquées le long d'une frontière franco-britannique de plus en plus cloisonnée. Reportage sur deux univers qui se font face et se mélangent peu.

9 heures. Café du Minck
Le soleil ne se lève toujours pas derrière les épais nuages. A travers les vitres du chaleureux café du Minck, sur le port de Calais, de violentes rafales secouent les vagues grises. Les ferrys défilent, rejoignant la côte anglaise visible à une trentaine de kilomètres.
Dans cet estaminet historique, les retraités ou pêcheurs fidèles, airs affables, se serrent la main chaque jour. Et le même sujet revient en boucle dans toutes les bouches. Les migrants ou la «pression migratoire», comme disent les médias. Sur le comptoir, d’ailleurs, les journaux locaux, étalés, s’arrachent. Dans la rubrique «Calaisis», des pages entières sont consacrées aux informations autour de la «jungle», ce bidonville aux conditions insalubres où survivent dans la précarité quelque 4.000 à 4.500 personnes.
Ce matin-là, les médias titrent sur un chauffeur routier qui a versé au fossé, perturbé par des migrants dans sa remorque. Au comptoir, un Calaisien fronce les sourcils lorsqu’il évoque ceux que certains ici surnomment encore les «Kosovars». Une référence aux premiers arrivants ayant transité par Calais à la fin des années 1990. Dans la ville de la dentelle, les passages des candidats à l’Angleterre sont ininterrompus depuis cette date.
L’homme ne «reconnaît plus» sa commune. «Ce qui me dérange, ce sont les barbelés, tout ce qui se construit autour du tunnel et de la rocade. On a l’impression d’être enfermés dans notre propre ville.» Ces derniers mois, Eurotunnel, la société européenne qui gère le passage sous la Manche, a déployé des moyens colossaux pour empêcher les passages vers l’Angleterre. Déboisement de soixante hectares, pose de trente kilomètres de clôtures, inondations de terrains… «A quand les crocodiles?», ironise Bernard, un retraité.

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